La justice kényane juge «illégal» le déploiement de policiers en Haïti

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Un tribunal de Nairobi a ce vendredi 26 janvier jugé « anticonstitutionnelle, illégale et invalide » la décision d’envoyer un millier de policiers kényans en Haïti pour prendre la tête d’une mission multinationale. Cette décision marque un coup d’arrêt au déploiement de cette force multinationale.

Face aux appels de plus en plus pressants du gouvernement haïtien et de l'ONU, le Kenya avait accepté en juillet de mener une force de 2 500 à 2 600 hommes, espérée « au cours du premier trimestre 2024 ». L'ONU avait donné le feu vert en octobre à cette force, également soutenue par les États-Unis. Mais l'annonce du gouvernement kényan, validée au Parlement le 16 novembre, avait suscité une vive contestation dans ce pays d'Afrique de l'Est. L'opposant Ekuru Aukot avait notamment saisi la Haute Cour de Nairobi, arguant que cette mission était inconstitutionnelle, car ne reposant sur aucun fondement légal.

Un avis que la Haute Cour a donc confirmé. « Le Conseil national de sécurité n'a pas mandat pour déployer des agents de la police nationale hors du Kenya », a affirmé le juge Enock Chacha Mwita. Une « telle décision contrevient à la Constitution et à la loi et est donc inconstitutionnelle, illégale et invalide », a-t-il ajouté. L'envoi de policiers hors du territoire national n'est possible qu'en cas d'accord de « réciprocité » signé avec le pays receveur des troupes, qui doit en avoir fait la demande directement auprès du Kenya. Ce n’est pour l’instant pas le cas entre le Kenya et Haïti, précise notre correspondante à Nairobi, Albane Thirouard. 

Ce verdict marque un coup d'arrêt à la force multinationale très attendue pour tenter de juguler le chaos grandissant dans ce petit État caribéen, où la violence des gangs a fait près de 5 000 morts, dont plus de 2 700 civils, en 2023, selon un rapport mardi du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. Le gouvernement kényan a « réitéré son engagement à honorer ses obligations internationales » tout en affirmant qu'il allait « contester » ce verdict, a affirmé dans un communiqué le porte-parole du gouvernement, Isaac Maigua Mwaura. « Nous allons aussi étudier le verdict et prendre les mesures nécessaires. Le Kenya est et reste engagé dans ses obligations en termes de maintien de la paix vis-à-vis de la communauté internationale », a explique le porte-parole.

L'opposant Ekuru Aukot s’est réjoui de cette victoire. « Nous sommes très contents de cette décision. Le juge n’était pas d’accord avec certains de nos arguments mais en fin de compte, il a bien qualifié le déploiement de policiers à l’étranger d’illégal et d’inconstitutionnel. Il y a toutefois une chose que je veux souligner. Pour moi, il n’y a pas de gouvernement légitime à Haïti en ce moment qui pourrait faire une demande de déploiement à un autre pays », a-t-il déclaré.

« Le peuple haïtien est aux abois »

La contestation juridique des autorités kényanes va prendre encore beaucoup de temps. Or, du temps, Haïti n'en a pas, souligne Jean-Marie Théodat, écrivain haïtien et professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Il y a eu une diffusion de la violence criminelle dans des départements qui étaient jusque-là encore préservés. Nous assistons à une gangrène progressive de la situation en Haïti », estime-t-il. Et d’ajouter : « Il y a quelque chose de choquant dans la manière dont les instances internationales gèrent la crise haïtienne. Tant d’autres pays auraient eu beaucoup plus de moyens et de raison d’intervenir en Haïti, mais Haïti ne représente pas un intérêt stratégique tant que la stratégie s’arrête à des données comptables en termes des ressources à exploiter ».

Selon M. Théodat, il y a dans ce dossier « une double incompétence ». « Incompétence des Kényans à saisir l’intérêt historique d’une telle intervention et incompétence des instances internationales qui ne voient pas que le peuple haïtien est aux abois et qu'il mérite un intérêt beaucoup plus grand », déplore-t-il.

Ce revers est un coup dur pour le gouvernement haïtien mais aussi un dépit pour la population « abandonnée à elle-même puisque le gouvernement n'a jamais manifesté une quelconque empathie pour ces gens qui souffrent », analyse Jacques Nési, politologue et chercheur associé au laboratoire caribéen de sciences sociales. Pour le peuple, « l'arrivée des troupes kényanes apparaît comme une sorte de pis-aller, une solution de moindre mal ».

« Ce genre de décisions, ce sont des décisions prises par le pouvoir politique et non judiciaire », regrette Pierre-Antoine Louis, un juriste. Il se dit surpris et suggère au gouvernement de mobiliser les Haïtiens.

Ave RFI et AFP

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