Rwanda : le développement au prix du chaos ?

Obsèques de 35 civils tués par les M23 à Goma. Ph ENET © Prince Bagheni


Alors que les élections présidentielle et législative se profilent au Rwanda, annonçant un quatrième mandat pour Paul Kagame, le pays est sous le feu des critiques d’un récent rapport de l’ONU qui dénonce sa stratégie militaire en République Démocratique du Congo.

Sur la scène nationale comme internationale, le Rwanda est devenu en l’espace de 30 ans une puissance incontournable. Interdiction totale des objets en plastique à usage unique, champion mondial de la représentation féminine en politique, croissance économique galopante : tel est le bilan que défend Paul Kagame sur les routes rwandaises depuis le lancement de sa campagne le 22 juin. 

Si ce leader emblématique de la reconstruction du pays depuis la fin du génocide de 1994 peut se targuer de tels succès, cela se fait aux dépends de la liberté démocratique et à coups d’offensives brutales de l’armée rwandaise hors de son sol. Le 8 juillet, un rapport accablant des Nations Unies pointait du doigt la responsabilité du Rwanda dans l’entretien d’un conflit meurtrier dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). 3 000 à 4 000 soldats rwandais y seraient stationnés, en soutien au groupe armé du M23. 

Les activités militaires du Rwanda en dehors de ses frontières expliquent-elles une partie de son développement économique ? Acquis au cours des dernières années, son rôle d'acteur central des équilibres géopolitiques régionaux favorise-t-il la mansuétude de la communauté internationale vis-à-vis des agissements du régime au Nord-Kivu ?

Pour en parler, Aliette Hovine reçoit Christophe Châtelot Journaliste au Monde, desk Afrique, Bob Kabamba Professeur de sciences politiques à l’Université de Liège, et Georges Berghezan Chercheur associé au GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité)

La voie de la reconstruction nationale par l'autoritarisme

Pour comprendre la longévité politique de Paul Kagame, il faut revenir aux origines de l'État rwandais, bâti en 1994 sur la nécessité de se reconstruire après le traumatisme du génocide des tutsis par le Hutu Power, ayant fait 800 000 morts. Comme l'explique Christophe Châtelot, Paul Kagame "a sorti son pays de la misère et du choc, du traumatisme dans lequel il était. Le Rwanda demeure un des pays les plus pauvres du monde. Mais [Kagame] a réussi à le placer sur une courbe ascendante, et surtout, à faire coexister les bourreaux de ce génocide dit de proximité et les victimes. Ça impliquait d'inscrire le modèle politique dans un carcan pour éviter ce qui s'est passé au tout début et qui a été contenu : la vengeance."

Pour Bob Kabamba, "On peut dire sans ambiguïté que le régime rwandais est un régime autoritaire, basé sur le concept de sécurité, dont le message est que plus jamais le Rwanda ne connaitra le génocide. Ce concept d'éliminer toute menace s'est retraduit dans les institutions telles qu'elles sont définies par la Constitution." Derrière un multipartisme de façade, le FPR, parti présidentiel, dirige l'ensemble de la vie politique. 

Une opposition existe, mais doit, pour être tolérée, adopter "un code de langage, un narratif accepté par le pouvoir " tel que le présente le politiste. La Commission électorale nationale n'a retenu que trois des neuf candidatures présentées pour le scrutin présidentiel.

Dirigisme économique et représentation internationale

Plus encore, l'affirmation de la nationalité rwandaise et le développement économique vont de pair pour Bob Kabamba : " c'est sur ce socle-là que Kagame veut bâtir son Singapour africain" .

Selon Christophe Châtelot "il y a un "en même temps" rwandais. C'est une économie de niche, notamment dans le tourisme de luxe, sachant que les parcs naturels du Congo voisin sont neutralisés à cause des violences. Il y a un tourisme de congrès et de sommets internationaux qui ont fait de Kigali la deuxième destination africaine derrière le Cap, Afrique du Nord comprise. L'année prochaine, il y aura les championnats du monde de cyclisme. Tout ça s'appuie sur un pays qui est très sûr, très propre, très contrôlé."

Déstabilisations régionales

Mais cette attractivité rwandaise pourrait être remise en cause par l'implication de l'armée dans les violences qui agitent le Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo, où le Rwanda soutient activement le groupe rebelle du M23. 

"Est-ce que les sociétés qui ont une image de marque à l'international, prendront le risque d'investir au Rwanda si, d'un seul coup, l'armée rwandaise,  impliquée dans des exactions, on le sait, fait l'objet de sanctions?", interroge Christophe Châtelot.

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  • Pour Georges Berghezan, "La sécurité, c'est le grand défi de la région. Et l'armée rwandais se distingue comme l'une des plus professionnelles d'Afrique, très bien équipée, présente dans plusieurs autres pays africains. Généralement cela se fait avec l'accord des gouvernements concernés, comme au Mozambique ou en Centrafrique, mais ça n'est pas le cas au Congo". 

    Cette intervention est motivée par les autorités rwandaises par la menace sécuritaire que représente la présence au Nord-Kivu des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), un groupe militaire composé d’anciens responsables génocidaires hutus.

    Néanmoins, "Le Rwanda, qui a très peu de gisements de coltan, indispensable pour la fabrication des téléphones, des ordinateurs, des processeurs... en est pourtant le premier exportateur mondial", ajoute le chercheur. Christophe Châtelot ajoute : "Il est clair que le Rwanda profite en très grande partie de l'exploitation illégale des minerais dans l'Est du Congo. 

    Ce qui est compliqué, c'est qu'il y a ce que le rapport de l'ONU appelait "le réseau des élites", qui unit tous les profiteurs de guerre. Et parmi ces profiteurs de guerre, il y a aussi des officiers supérieurs de l'armée congolaise qui sont censés lutter contre ces groupes rebelles : tout le monde finalement tire profit de ce commerce illégal".

    Avec radiofrance.fr

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