RDC/Affaire FRIVAO : La Justice entravée par la Politique ?(Tribune)

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L'affaire du Fonds Spécial de Répartition de l'Indemnisation aux Victimes des Activités Illicites de l'Ouganda en RDC (FRIVAO) a récemment pris une tournure inquiétante, mettant en lumière les tensions entre justice et politique en République Démocratique du Congo.

Ce fonds, institué par le décret n°19/20 du 13 décembre 2019, a été créé pour répondre à l’arrêt historique de la Cour Internationale de Justice (CIJ) du 09 février 2022, ordonnant à l’Ouganda de compenser les victimes des exactions commises par son armée entre 1998 et 2003.

Un Processus Sous Pression

Depuis sa mise en place, le FRIVAO a entamé un travail colossal pour identifier et indemniser les 14.528 victimes recensées, avec un premier lot de 3.121 personnes certifiées comme éligibles en mai 2024. Ces victimes, issues de la Grande Orientale, ont subi des pertes humaines, des blessures graves, la destruction de biens, et bien plus encore. Cependant, ce processus d’indemnisation, censé être un acte de réparation et de justice, a été brutalement interrompu par une décision controversée du Ministre d’État de la Justice et Garde des Sceaux.

Une Intervention politique dévastatrice

Alors que les premières indemnisations étaient en cours à Kisangani, le Ministre d’État de la Justice a ordonné la suspension des paiements, remettant en question un processus pourtant encadré légalement par l’arrêt de la CIJ et le décret fondateur du FRIVAO. Cette intervention a stoppé net la distribution des fonds, laissant 3.020 victimes sans recours immédiat, seules 101 d’entre elles ayant pu recevoir leur compensation avant l’arrêt brutal des paiements.

Mensonges et réalités sur les montants d’indemnisation

Le Ministre d’État a avancé publiquement que les indemnisations se limitaient à un montant symbolique de 250 $, une affirmation qui s’avère être un écran de fumée. En réalité, les montants d’indemnisation, validés par la Ministre de la Justice Rose Mutombo lors d'une réunion du conseil d’administration du FRIVAO en mai 2024, sont bien plus significatifs : 1.040 $ pour chaque perte en vie humaine, 880 $ pour chaque blessé grave ou mutilé, 700 $ pour chaque maison endommagée, 400 $ pour les blessés légers et 300 $ pour chaque perte de biens. Ces sommes représentent un geste symbolique de justice, financé par la première tranche versée par l’Ouganda, avec l’engagement de procéder à des paiements équitables sur les cinq tranches prévues.

Une décision de suspension Illégale ?

La suspension des membres de la Direction Générale du FRIVAO par le Ministre d’État de la Justice suscite de sérieuses questions sur la légalité de cette action. Ces mandataires, nommés par le Président de la République, sont protégés par la Constitution, la loi sur le statut des Mandataires publics, et le décret créant le FRIVAO. Pourtant, le Ministre a invoqué des dispositions juridiques inadéquates, relevant du cadre des associations sans but lucratif, pour justifier une décision qui touche un établissement public. Cette confusion juridique montre non seulement une méconnaissance des textes, mais aussi une volonté de politiser une affaire qui devrait rester strictement judiciaire.

Pire encore, l’arrêté du Ministre mentionne une instruction judiciaire en cours contre les membres de la Direction Générale comme justification de leur suspension. Or, une inspection menée par l’Inspection Générale des Finances (IGF) à la demande du Ministre n’a révélé aucune malversation financière. Les fonds sont bien consignés dans les comptes ouverts à la RawBank, et aucune accusation de détournement n’a été formulée.

Le cri de détresse des victimes

Les victimes des exactions ougandaises, déjà traumatisées par des années de violence et de privations, sont désormais confrontées à une nouvelle forme d’injustice. La suspension des indemnités, sur fond de querelles politiques, les laisse dans un état d’incertitude totale. Leurs espoirs de réparation sont désormais suspendus à la volonté politique, mettant en danger la crédibilité du processus et l’indépendance de la justice.

Une intervention urgente nécessaire

Il est impératif que le Premier Ministre et le Président de la République interviennent rapidement pour rétablir l’ordre dans cette affaire et garantir que le processus d’indemnisation puisse se poursuivre sans entrave. Le FRIVAO doit être protégé des ingérences politiques et des manœuvres destinées à détourner les fonds destinés aux victimes. La justice doit primer sur la politique, surtout dans un dossier aussi sensible et symbolique que celui-ci.

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  • Les droits des victimes, leur dignité et la promesse d’une réparation équitable ne peuvent être sacrifiés sur l’autel des jeux de pouvoir. Le respect des engagements internationaux et des décisions de justice est un pilier de l’État de droit, et dans ce contexte, la politique ne doit pas être un obstacle à la justice.

    Par Aristote MUKULUMANIA, Activiste des Droits Humains

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