RDC: Pourquoi l'argent ne circule plus ?


Depuis le mois d’octobre 2019, la République démocratique du Congo a renoué formellement avec le Fonds monétaire international (FMI) pour éviter une crise économique majeure. Plusieurs mesures concrètes ont été mises en place pour contrôler le déficit du pays alors même que le président Félix Tshisekedi insistait pour l’adoption d’un budget historiquement haut. Analyse.

Des rues de la capitale Kinshasa aux bureaux climatisés des ministères, les esprits s’échauffent en ce mois de janvier, premier anniversaire au pouvoir du président Félix Tshisekedi. « L’argent ne circule plus », s’emporte un agent de sécurité. « Les prix sont trop chers, les gens ne sont pas payés. Vraiment, ce pays est maudit. » Les fonctionnaires voient leurs maigres traites amputées. Dans ce début d’année, l’impôt sur le revenu est prélevé à la source et touche même les primes, souvent plus élevées que les salaires. « Sur le peu que le président Kabila nous a laissé, ils veulent retrancher 15%. Le président de la République promettait l'amélioration des conditions sociales des agents. Un an après, il ne nous a pas donné un seul franc ! », s'emporte un agent qui proteste avec quelques dizaines d’autres devant le ministère de la Fonction publique.

Son voisin ôte son sifflet de sa bouche pour détailler par le menu tout ce que l’État ne lui a jamais payé : allocations logement, transport et familiales, ainsi que les soins de santé prévus par la loi congolaise. Il constate avec une grande amertume que malgré un « budget à 11 milliards » et beaucoup d’autres promesses, « on l’assassine ». Trop énervé, il omet de reconnaître au président Tshisekedi la gratuité de l'enseignement primaire qui pesait tant sur le portefeuille des Congolais. Il dénonce une politique « suicidaire » menée par des « agneaux devenus loups », sans qu’on ne lui ait jamais dit qu’il s’agissait d’une des mesures recommandées par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre d’un vaste plan d’assainissement des finances publiques.

« 770 milliards de déficits » à la fin des neuf mois de transition

Le 27 janvier 2020, le ministre des Finances, Sele Yalaghuli, livre tardivement une partie de l’explication sur les antennes de Radio France internationale (RFI) en utilisant les mots souvent tabous et toujours controversés de « politique d’austérité ». Sa déclaration a alors valeur de droit de réponse, plusieurs personnalités de la coalition du président Tshisekedi - dont son directeur de cabinet Vital Kamerhe - l'ayant accusé, lui qui est issue des rangs de la plateforme du prédécesseur Joseph Kabila, d’entraver le changement promis par le nouveau chef de l’État congolais. « Nous avons dû mener, à partir du mois de septembre, une politique d’austérité parce que nous sommes aujourd’hui en programme avec le Fonds monétaire international (FMI) », justifie le ministre, assurant avoir l’appui du président comme de son Premier ministre pour contenir le trop lourd déficit de son pays. Quand, de la présidence aux ambassades les plus lointaines, on se plaint d’arriérés de paiement de salaires et de frais de fonctionnement, M. Sele Yalaghuli dément, assurant qu’à son niveau, tout est décaissé « même si c’est avec un peu de retard ». Tout juste reconnaît-il « deux ou trois mois » d’arriérés de paiement chez les fournisseurs de l’État congolais.

Le 6 septembre 2019, après neuf mois de dures négociations entre le nouveau et l’ancien chef de l’État, un gouvernement de coalition est investi. Jusque-là, le pays était dirigé, sans contrôle parlementaire, par un gouvernement sortant et un président nouvellement installé et dépensait suivant deux plans de décaissement, celui de la loi de finances 2019 et le programme des 100 jours du nouveau chef de l’État. À l’issue de cette période dite de transition, le nouveau ministre des Finances dit alors avoir « découvert des déficits de 770 milliards de francs congolais [plus de 450 millions de dollars, ndlr] » dans les caisses de l’État. La Banque centrale du Congo (BCC) avait pourtant averti la présidence d’un dérapage des finances publiques dès le mois d’avril. Les documents publiés chaque semaine par l’institution attestaient d’une hausse croissante du déficit qui atteint quelque 130 millions de dollars au 19 avril 2019.

Dans l’un de ses bulletins hebdomadaires, la BCC imputait ces déficits notamment au coût des « mesures d'urgence » du président Tshisekedi qui, selon la Banque centrale congolaise, représentaient déjà près d'un quart des dépenses publiques à la mi-avril. Le directeur de cabinet et le porte-parole du nouveau chef de l’État étaient montés au créneau dans les médias locaux et, au 30 avril, la BCC se corrige et annonce sans sourciller un excédent de 180 millions de dollars.

Une « politique d’austérité » depuis septembre ?

La RDC vit une « situation complexe », aime à rappeler Lambert Mendé, le porte-parole du dernier gouvernement de Joseph Kabila. « Mais l’avenir du Congo en dépend ». À l’issue d’élections très fortement contestées, Félix Tshisekedi, le fils de l’opposant historique, devient président et toutes les assemblées sont contrôlées par son prédécesseur. Un an plus tard, il n’y a que de très peu ou pas de changement au sein des services de sécurité, les cours et tribunaux, les entreprises publiques et même jusqu’à la Banque centrale. Mais à la faveur de cette étrange coalition au pouvoir, les nouvelles institutions pèsent lourdement sur le budget de l’État. L’Observatoire de la dépense publique (Odep), une ONG congolaise, estime à plus d’un milliard de dollars le coût des nouvelles institutions politiques et dénonce un « partage du gâteau ». Aux yeux de la loi des finances 2020, la RDC a l’équivalent de deux gouvernements pléthoriques avec 66 ministres et vice-ministres et 54 conseillers spéciaux à la présidence avec désormais rang de ministre.

Confronté à ce nombre exorbitant de conseillers spéciaux budgétés, le directeur de cabinet du président, Vital Kamerhe, dément avant d’assurer découvrir l’information grâce à RFI. Le principal allié du nouveau chef de l’État évoque « une erreur monumentale » dans la loi de finances quand partout au sein de l’exécutif national, les technocrates dénoncent l’ampleur des « recrutements politiques » et des « dépenses de prestige » pour le compte de l’une ou l’autre des coalitions.

Devant la multiplication des « effets d’éviction », chacun a ses bêtes noires. Un économiste étranger s’emporte contre tous les « sauts-de-mouton » (Ponts sur de grands axes routiers, ndlr) lancés dans la capitale « en même temps et sans régie financière spécifique » qui créent depuis neuf mois des embouteillages monstres dans la capitale Kinshasa. L’un de ses collègues congolais dénonce, quant à lui, la multiplication des scandales financiers « de 15 à 180 millions » sans que de réelles explications ne soient données. « Chaque dépense autre que contraignante, c’est-à-dire les salaires et les frais de fonctionnement, crée un effet d’éviction », explique-t-il avant d’ajouter : « L’État ne peut pas à la fois dépenser et investir sur plusieurs fronts et régulièrement payer ses employés. Ses ressources sont trop limitées en raison de la corruption. »

Il pointe, comme la Lucha, la multiplication des déplacements du chef de l’État. Félix Tshisekedi a fait, selon le mouvement citoyen, « cinq fois le tour de la terre à l’équateur », passé presque un tiers de son temps à l’étranger, pour tenter de redorer l’image de son pays. Mais le nouveau président se déplace avec des dizaines de collaborateurs à loger et nourrir. « On ne peut pas parler d’austérité quand on voit le prix du dernier voyage à Londres et à Davos », commente un diplomate étranger.

Une semaine de réserves de change à la fin du mois d’octobre

Austérité ou pas, la RDC a bel et bien frôlé le pire et la Banque centrale congolaise a joué un grand rôle dans cette situation. C’est le FMI qui l’explique depuis Washington. Ses réserves de change à l’internationale avaient fondu au point d’atteindre le niveau critique « d’une semaine d’importations à la fin du mois d’octobre 2019 ». La politique monétaire de la Banque centrale congolaise a rendu le pays « très vulnérable, notamment aux spirales dépréciation-inflation ». Si le FMI a octroyé à l’État congolais un prêt d’urgence de plus de 368 millions de dollars, c’est bien pour sauver le pays et « compléter les efforts de la BCC pour reconstituer ses réserves de change ». Cet argent versé en décembre a été placé dans un compte du Trésor de la RDC en Suisse pour stabiliser le taux de change et les prix en échange d’une promesse du gouvernement « de dépenser à la hauteur de ses moyens ».

Le rapport de l’Institution de Bretton Woods daté du 4 décembre 2019 livre plus de détails sur les « avances et garanties » fournies par la BCC qui ont déstabilisé la balance des paiements. Pour financer la gratuité de l’enseignement primaire et le programme des 100 jours du nouveau chef de l’État, écrivent les experts du FMI, la Banque centrale du Congo avait avancé pour « 603 milliards de francs congolais » (0,7% du PIB) à l’État, une pratique pourtant interdite par la loi congolaise relative aux finances publiques. Elle avait également garanti pour « 372 milliards de francs congolais » (0,4% du PIB) supplémentaires de prêts des institutions publiques dans les banques commerciales. Pour cela, elle y avait rapatrié une partie de ses réserves en devises, violant toutes les recommandations internationales en la matière. « Ce n’est pas que l’argent ne circule plus, c’est que l’argent qui circulait avant n’existait pas vraiment et ça s’est traduit par de l’inflation qui est vraiment l’impôt des pauvres », explique encore l’économiste étranger.

Les dérives sont telles qu’au moins trois petites banques sur les 17 que compte le système bancaire congolais ne sont pas suffisamment capitalisées, notamment en raison de prêts impayés contractés par les institutions publiques, y compris les provinces. D’autres étaient déjà en liquidation. « Tout ça, c’est du passé, l’important, c’est qu’on soit tous aujourd’hui engagés dans le respect de l’orthodoxie financière », assure un haut responsable de la BCC qui ne nie rien, ni les dérapages des finances publiques, ni les manquements de leur principal régulateur. Il promet de se contenter d’émettre des bons au Trésor, seule « pratique saine » de financement de la dette intérieure.

Les prix de certaines denrées doublent entre décembre et janvier

Malgré l’assistance du FMI, la spirale inflationniste n’a pas stoppé. À Kinshasa, en ce mois de janvier 2020, certaines denrées ont vu leur prix doubler. La faute n’incombe pas qu’à la Banque centrale et à l’usage de la planche à billets. L’économie de la RDC est si fragile qu’elle reste sensible à n’importe quel choc externe. Pour déséquilibrer les prix, il suffit qu’une route entre deux villes de l’Est, Bunia et Kisangani, soit tellement endommagée que les transporteurs mettent vingt jours de plus pour les rallier ou même que les États-Unis se décident à mettre sous sanctions un seul homme d’affaires. Le Libanais Saleh Assi détient les industries Pain Victoire et Mino Congo, cruciales pour la distribution du pain et du poulet dans la capitale. « Il ne faut pas tomber dans le piège de blâmer Félix Tshisekedi pour l’État du Congo, il hérite d’infrastructures moribondes, d’entreprises publiques en faillite et d’un appareil d’État, qui faute d’être bien payé est corrompu », commente un proche du nouveau président. « Il faut reconnaître aussi que la coalition et la gratuité coûtent cher, mais elles ne sont pas négociables, les bailleurs de fonds doivent nous aider. »

L’une des mesures les plus soutenues du président Tshisekedi, à l’intérieur du pays, comme à l’étranger, c’est justement la gratuité de l’enseignement primaire qui coûte à elle seule 1,2 milliard de dollars par an. Elle inclut le paiement de centaines de milliers d’instituteurs congolais qui n’avaient jamais été payés par l’État, l’amélioration des salaires et montants des frais de fonctionnement jusqu’ici modiques. 80% du coût de l’enseignement primaire étaient jusqu’ici assumés par les seuls parents. Depuis les années 1980, des enfants peinaient à rejoindre les bancs de l’école faute de pouvoir payer les frais scolaires à la rentrée. Aujourd’hui, les classes sont bondées et n’ont plus assez de bancs pour les accueillir. La Banque mondiale propose de contribuer à cette mesure historique à hauteur d’un milliard de dollars sur trois ans, l’essentiel sera donc assumé par l’État congolais lui-même qui devra prouver à chaque étape que l’argent des bailleurs de fonds est bien utilisé.

Depuis son investiture, le nouveau chef de l’État a également promis d’assurer la gratuité des soins primaires de santé et de sortir en cinq ans un quart de la population congolaise de l’extrême pauvreté. Alors même qu’il multipliait les voyages à Washington pour concrétiser l’accord avec le Fonds Monétaire International, lui-même conditionné par un contrôle strict des dépenses, il pousse le gouvernement et le Parlement à adopter un budget historiquement élevé de 11 milliards de dollars. Le représentant du FMI à Kinshasa le qualifie d’irréaliste, provoquant l’ire des partisans du nouveau chef de l’État. Et pourtant, ce budget est plus de deux fois supérieur à ce que la RDC a été capable de décaisser en 2019. À l’époque, la mine de Mutanda était l’un des principaux contributeurs de l'impôt sur les bénéfices, avec plus de 600 millions de dollars versés à l’État l’an dernier, mais elle vient de suspendre ses activités pour deux ans.

Selon le dernier rapport du Fonds monétaire international, le gouvernement congolais reconnaissait déjà, avant son adoption, que « les projections du budget 2020 étaient trop ambitieuses ». Un « plan de trésorerie » a été formulé et devait être mis en ligne sur le site du ministère des Finances au plus tard à la fin du mois de janvier. Il devrait être basé sur des « projections réalistes des recettes et de financement et compatible avec un déficit de 0,4% du PIB pour 2020 [200 millions de dollars] » et exclut tout recours à la planche à billets. Plus que la loi de finances promulguée depuis par Félix Tshisekedi, ce document devrait « guider l’exécution des dépenses budgétaires en évitant les arriérés de paiement ».

La mobilisation des recettes, une « priorité nationale impérative »

La République démocratique du Congo est parmi les plus mauvais élèves de l’Afrique subsaharienne en matière de mobilisation de recettes et elle va devoir réaliser l’impossible. Dans son discours à la nation, le président Tshisekedi a fait de cette mobilisation une « priorité nationale impérative » tant en dépend la réussite de tout ou partie de son programme. Le vice-Premier ministre en charge du budget et proche de son directeur de cabinet Vital Kamerhe, Me Jean-Baudouin Mayo Mambeke, défend le bilan de son gouvernement : « Nous avons réussi à observer les contraintes du Fonds monétaire international, c’est pour ça que le FMI nous a appuyés avec 368 millions de dollars. Si la revue n’était pas performante, on n’aurait pas accédé à ce crédit-là », mais avant d’aller plus loin, l’institution de Bretton Woods a suggéré, en plus du contrôle des dépenses publiques et de l’apurement des dettes, plusieurs réformes structurelles, dont certaines qui, bien que très ambitieuses, ne permettront sans doute pas, au moins à court terme, de générer entre 500 millions et un milliard de dollars de recettes supplémentaires. Le tout contrôlé au cours de trois visites qui devraient s’étaler jusqu’en juin prochain.

Le gouvernement congolais s’est déjà attelé à une première réforme en généralisant l’impôt sur le revenu à tous les agents de l’État, mais a promis aux syndicats de payer toutes les allocations prévues par la loi congolaise, ce qui pourrait lui coûter plus cher encore. La TVA devrait être rétablie, mais les arriérés de paiement dans son remboursement aux entreprises sont si nombreux qu’ils représentent plus de 350 millions de dollars (0,7% de son PIB). Kinshasa s’est aussi engagé à rationaliser le paiement de taxes à diverses entités gouvernementales aux postes-frontière. 60 à 80% des marchandises qui pénètrent sur le sol congolais le font de manière frauduleuse. Les recettes douanières restent modiques et ne sont que peu reversées aux comptes du Trésor. Ceux qui en bénéficient sont autant d’intérêts que la coalition au pouvoir va devoir bousculer.

Ces « efforts », le gouvernement congolais doit les fournir « ensemble avec le peuple congolais », explique encore Me Jean-Baudouin Mayo Mambeke. Mais aujourd’hui, la très grande majorité des Congolais, y compris au sein de l’élite, n’a aucune idée de l’ampleur des défis, aveuglés par les discours politiques qui agitent quasi quotidiennement les médias et les réseaux sociaux. Les variations du taux de change, la hausse de prix et l’impression que l’argent ne circule plus, tout s’explique par l’état des finances de la RDC. Quand le chef de l’État congolais dénonce des blocages et évoque pour la première fois l’idée de dissoudre l’Assemblée dominée par son prédécesseur, la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, le renvoie aux variations du taux de change et rappelle que les députés et les sénateurs ont largement voté son budget. La pique passe presque inaperçue, écrasée par le débat sur l’avenir politique de la coalition au pouvoir.

Le vice-Premier ministre en charge de Budget se refuse, lui, à tout commentaire politique et dément un quelconque déficit de communication du gouvernement sur la réalité de la situation économique du pays. Pour Me Jean-Baudouin Mayo Mambeke, le président Tshisekedi a tout expliqué dans son premier discours à la nation. La dépréciation et l’inflation ne seraient que le résultat d’une politique ambitieuse. « On ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs », justifie M. Mayo Mambeke. « C’est le prix à payer et après si jamais on le réussissait, nous pourrons accéder aux facilités élargies de crédit du Fonds monétaire international, la Banque mondiale va nous appuyer. Et le pays sera crédible sur le plan financier à l’internationale. »

Election-net/ Mediacongo.net


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