RDC, invalidation des candidats : Professeur Kabuya Lumuna, son plaidoyer pour la révision de la loi électorale et de la Constitution.


Les tensions persistantes depuis 2012  se sont focalisées sur la question de la fin du deuxième mandat du président Joseph Kabila, et le « risque » de vivre une violation de la Constitution. Cependant, un dauphin a été désigné au sein du FCC, alors que Jean-Pierre Bemba et quelques gros poissons de l’Opposition ont été invalidés. La manœuvre du président a frappé par son habileté et son talent tactique.

 

Prof Célestin Kabuya-Lumuna Sando

 

Il a réussi à éviter les foudres des défenseurs de la Constitution tout en mettant dos au mur les principaux adversaires de l’Opposition. Respect de la Constitution contre respect de la loi ! À la limite, la manœuvre peut même favoriser l’abstention des électeurs trop attachés à une personne invalidée. Ce qui augmenterait les chances du candidat de la Majorité actuelle.

C’est fort habile. C’est de bonne guerre, et cela fait partie du jeu politique. Les partisans du président Joseph Kabila sont en droit de s’en féliciter. Leur mission démocratique étant de conserver le pouvoir après les élections et non celle d’aider l’Opposition à conquérir le pouvoir.

Mais en nous situant dans la perspective de consolider la démocratie congolaise, l’habileté du président ouvre la question de savoir pourquoi, après invalidation, un parti ne peut pas présenter un autre candidat.

La loi électorale précise, en son article 12, deux types de candidature : 1°  la candidature présentée par un candidat indépendant ; 2° la candidature présentée par un parti ou un regroupement politique.

Cependant les dispositions en vigueur sur l’invalidation illustrent les incohérences et les déséquilibres qui ont été les véritables causes des crises post-électorales connues dans notre histoire politique, et ils sont, encore, aujourd’hui germes de crise. Voyons l’incohérence, dans le cas de l’invalidation, entre la Constitution, la loi électorale et la loi portant organisation et fonctionnement des partis politiques.

La Constitution du 18 février 2006 précise en son article 6 : « les partis politiques concourent à l’expression du suffrage ».  Et la loi portant organisation et fonctionnement des partis politiques définit le parti en son article 2 comme suit : « une association des personnes de nationalité congolaise qui partagent la même idéologie et le même projet de société, en vue de conquérir et d’exercer démocratiquement et pacifiquement le pouvoir d’État »

Ces dispositions montrent qu’il ne faut pas confondre le parti politique et l’individu qui le représente. Le parti existe de par deux faits observables : 1° une idéologie particulière, un projet de société particulier et 2° des Congolais réunis en association par la libre adoption de cette idéologie et ce projet de société.

Il faut rappeler qu’en vertu de l’article 5 de la Constitution, la souveraineté nationale appartient au peuple et qu’en démocratie représentative, les élections pluralistes constituent la manifestation de cette souveraineté et invitent le peuple à se présenter en fractions différentes. En l’occurrence donc en partis politiques, seules associations de Congolais reconnues pour l’expression du suffrage.

Cette particularité fonde le droit de tout parti politique, représentant d’une fraction du peuple, de proposer aux élections son idéologie et son projet de société. Le parti politique est en fait et en droit l’acteur et l’objet de la compétition électorale. C’est un droit constitutionnel.

De sorte que la compétition électorale entre représentants des partis politiques ou des regroupements politiques est, en réalité, une confrontation entre différents projets de société. Chaque parti étant appelé à proposer au peuple souverain la préférence de son idéologie et de son projet de société, donc sa vision et son programme pour réaliser cette vision. Et présente cette proposition parmi celles d’autres partis politiques.

L’importance accordée au parti politique comme acteur de la compétition électorale se manifeste notamment par l’article 104 de la loi électorale qui exige, dans le dossier de la déclaration de candidature, je cite : «l’original de la lettre d’investiture du candidat par son parti politique ou son regroupement politique ».

Par ailleurs, l’article 8 de la Constitution du 18 février 2006 stipule le caractère sacré des droits reconnus au parti politique. En effet, selon cet article, « les droits liés à l’existence de l’Opposition politique, à ses activités et à sa lutte pour la conquête démocratique du pouvoir sont sacrés ».

Certes, l’article évoque ici l’Opposition. Mais nous savons que l’Opposition signifie le regroupement des partis politiques minoritaires à l’Assemblée nationale. Nous savons que l’esprit de cet article est de garantir la démocratie pluraliste et les droits de ces partis face aux tenants du pouvoir d’État. Ces droits qualifiés de sacrés concernent  tout parti politique, de l’Opposition ou de la Majorité.

Chose étonnante : le même article 8 de la Constitution évoque la possibilité de limiter ces droits par la Constitution et la loi. Ce qui est une incohérence car on ne peut pas imaginer une loi non conforme à la Constitution, et, par ailleurs, l’article 220 de la même Constitution interdit de toucher ni au pluralisme politique ni aux droits et libertés de la personne. L’association de Congolais en parti politique est un droit qui ne peut donc être retiré. La Constitution ne peut pas limiter ce qu’elle s’interdit de réviser.

Ainsi, les différentes dispositions constitutionnelles et légales évoquées nous amènent à une certitude : la Constitution reconnaît, en faveur du parti politique ou du regroupement politique, le droit sacré de participer à la lutte pour la conquête démocratique du pouvoir.

Et pourtant, en cas d’invalidation du candidat présenté par un parti politique ou un regroupement politique par la juridiction compétente, le parti ou le regroupement ne peut plus présenter un autre candidat et se trouve donc privé de son droit démocratique de participer à la lutte pour la conquête du pouvoir, de concourir à l’expression du suffrage en proposant aussi son idéologie et son projet de société. Le parti est libre de s’abstenir. Mais la loi ne peut pas l’en empêcher.

Il y a là, nous semble-t-il, une confusion malheureuse entre l’individu candidat et le parti politique, fraction du peuple et personne morale, sinon une confusion encore plus malheureuse entre le droit de vote reconnu à tout citoyen membre ou non d’un parti et le droit de candidature reconnu au parti politique.

Par ailleurs, comme on peut l’observer dans le cas des invalidations de certains candidats présentés par des partis ou des regroupements politiques pour le scrutin présidentiel prévu le 23 décembre, les motifs avancés par la juridiction compétente, en conformité avec les articles 9,10,21 de la loi électorale, relèvent principalement  du comportement individuel et de la vie privée des candidats.

Pourquoi pénaliser le parti à cause des faits qui n’ont rien à voir avec lui, personne morale ?  N’est-ce pas une injustice qui fausse la compétition démocratique et qui illustre des incohérences troublantes, non seulement entre nos différents textes législatifs, mais aussi entre la batterie de nos dispositions juridiques et les principes de la démocratie proclamée et collée fièrement au nom de notre pays, République Démocratique du Congo.

Certes, on pourr ait évoquer la responsabilité du parti qui serait due à des incohérences en son sein. En effet, nous reconnaissons que la légitimité du pouvoir qui est recherchée à travers les élections comporte deux dimensions : une dimension juridique qui est établie par la conformité des procédures à la loi, et c’est là l’importance de la loi électorale; une dimension sociologique qui est établie en deux temps : d’abord par l’investiture au sein du parti, ensuite par le suffrage exprimé dans la circonscription électorale, et donc dans toute la nation pour le scrutin présidentiel.

         De sorte qu’on peut penser que l’impossibilité d’exercer son droit de candidature après invalidation d’un candidat constitue une sanction contre le parti ou le regroupement politique qui aura procédé à l’investiture d’un candidat qui ne remplit pas toutes les conditions d’éligibilité. Le tort du directoire du parti serait alors de n’avoir pas bien vérifié le dossier du candidat.  Une négligence qui serait alors vite interprétée comme une tentative de tricherie. Et on conclura que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.

C’est correct de raisonner ainsi. Mais dans la mesure où de telles turpitudes ne pourraient engager que le nombre restreint des personnes membres du directoire et dans la mesure où les motifs relèvent de la vie privée d’un seul individu, la sanction ne peut préjudicier les intérêts de tous les partisans.

Dans l’intérêt de la démocratie, il faudrait leur donner une autre chance, et trois  considérations permettent de fonder le principe d’une autre chance : d’abord le fait que les causes d’irrecevabilité, précisées aux articles 9, 10, 21 de la loi électorale relèvent  des actes et du comportement de la vie privée du candidat et non du parti ou du regroupement politique.

Ensuite, le principe de la substitution de candidat est reconnu à l’article 21 de la loi électorale, en cas de non-conformité constatée au niveau du Bureau de réception de la Céni. Enfin, il y a la présomption d’innocence dans le chef des personnes associées dans un parti politique, devant le constat d’une autre incohérence majeure, porteuse de germes de conflits, à savoir l’absence de démocratie interne au sein des partis politiques. Ils réclament la démocratie dans l’État, mais ils ignorent la démocratie dans leurs rangs !

Il en résulte la personnalisation à outrance du jeu politique. Ce qui permet à l’Autorité morale, président fondateur du parti et candidat naturel au scrutin présidentiel, de minimiser ou de dissimuler soigneusement quelques pans de sa vie privée.

Dans ces conditions, le fait de pouvoir présenter une autre candidature serait un grand avantage pour la démocratie car l’idée seule de pouvoir présenter un autre candidat que l’Autorité morale est de nature à faciliter l’installation de la  démocratie interne au sein des partis politiques et l’émergence des partis dont l’idéologie et le projet de société font effectivement partie des discussions, des publications dans le pays.

 

I/T Conclusion   

         L’analyse de l’invalidation a permis de découvrir des incohérences regrettables entre nos textes, dans chaque texte particulier et dans le fonctionnement des partis politiques. Les déséquilibres des rapports des forces pour discuter et adopter en équité les règles de conduite et d’arbitrage du processus électoral s’ajoutent aux pesanteurs des incohérences des textes et des partis politiques pour multiplier les germes de conflits et, augmenter les probabilités de crises néfastes et meurtrières. Même la volonté démocratique affichée au nom du pays semble incohérente avec la pratique des acteurs politiques congolais. Laquelle pratique tend, hélas, à démontrer, depuis 1960, l’impossibilité historique de la démocratie congolaise. 

         Nous devons cependant croire en une démocratie au service du développement, malgré le vécu d’une démocratie au service des crises et des résolutions des crises. Il faut donc tirer l’expérience sur le passé et prévenir en réduisant les germes qui attisent ces crises.

         Or, l’analyse des crises post-électorales connues dans notre histoire politique et celle des tensions persistantes à l’heure actuelle nous permettent d’en situer les  germes dans les incohérences de notre Constitution et de la loi électorale qui en dérive, notamment en ce qui concerne l’invalidation. Sans oublier les incohérences dans le fonctionnement des partis politiques qui, tous, réclament la démocratie dans l’État sans se soucier de leur démocratie interne.Une autre source de crises post-électorales est certainement le déséquilibre entre les forces politiques qui prétendent assumer la préparation des élections. Cela a été démontré dans le passé. Cela risque d’être démontré aujourd’hui.

 

I/T Quelques propositions

Ces incohérences et ces déséquilibres appellent quelques propositions susceptibles de favoriser une démocratie positive, au service du développement et non au service des crises et des résolutions de crises. 

1° Le principal organisateur, qui contrôle le pouvoir d’État, étant lui-même candidat, la loi électorale ne devrait pas être soumise, comme les autres lois, à l’approbation dans un cadre déséquilibré de Majorité politique-Opposition politique. Cela donne toujours plus de chance aux arguments de la Majorité et aux contestations porteuses de crises. La loi électorale ne devrait pas subir des modifications à chaque veille d’élections. Elle doit être standardisée et stabilisée, et donc établie une fois pour toutes et après approbation égale par une majorité qualifiée au sein de l’Opposition politique et par une majorité qualifiée autant au sein de la Majorité au pouvoir. Il faut même penser à mettre les principales dispositions de la loi électorale dans la Constitution. 

2° Il faut reconsidérer la nature et la structure de la Céni dans le sens d’en faire un cadre administratif d’exécution, qui remplit sa mission en appliquant des règles dûment préétablies et stabilisées, et  non un cadre de conception des élections. De sorte que la préparation des élections ne puisse plus apparaître comme une période de compétition déloyale.

3° Il faut mettre au pas les partis politiques et exiger une représentativité crédible de leurs représentants. Ils  devraient être soumis à la démonstration de leur représentativité effective dans la nation, et non seulement en termes numériques du nombre d’adhérents, mais aussi la représentativité en termes d’actions qui démontrent l’appropriation et la sensibilisation aux valeurs et aux pratiques démocratiques dans leur fonctionnement quotidien.

4° Il faut fixer le plafond des moyens financiers mobilisables par chaque  candidat pour sa campagne électorale, et installer un mécanisme de contrôle et des sanctions applicables en cas de transgression.

5° Il est indispensable que les moyens financiers publics destinés à l’organisation des élections soient assurés annuellement dans le budget de l’État et le renforcement des mécanismes de contrôle est nécessaire. La défaillance à cet égard devrait pouvoir motiver une motion de censure contre le gouvernement.

6° Au regard de toutes ces incohérences constatées et ces déséquilibres malheureux, il semble évident qu’il faut penser à une révision de la Constitution, de la loi électorale et de la loi sur les partis politiques, pour éviter les crises post-électorales.

Si donc il paraît pénible de réduire les déséquilibres, les incohérences des uns et des autres et les germes de conflits, il vaut peut-être mieux faire une halte, sinon une rupture et  se mettre d’acco rd sur les fondamentaux essentiels de la démocratie. Sinon, il faudrait, comme en 1965 et en 1997, se résoudre à admettre la rupture avec une démocratie qui crée des conflits meurtriers et qui déstabilisent l’État dans ses institutions et dans ses missions de développement.

 

 

 


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