Présenté comme le projet phare de la présidence Tshisekedi, le Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T) devait incarner la matérialisation de l'État au plus près des populations. Mais trois ans après son lancement, une enquête indépendante menée par le Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local (CREFDL) révèle une réalité bien moins reluisante, faite de retards, d’infrastructures inachevées, de mauvaise gouvernance et d’un pilotage souvent éloigné des réalités locales.
L’étude, menée d’octobre 2024 à février 2025, s’est appuyée sur une collecte méthodique de données budgétaires et administratives, mais aussi sur une immersion dans onze territoires répartis dans les provinces du Kwilu, Kwango, Kasaï et Kongo-Central. Les enquêteurs ont épluché lois de finances, rapports d’exécution, redditions de comptes, contrats, avis d’appel d’offres et données de programmation budgétaire. Ils ont aussi interrogé plus de 500 personnes, allant des bénéficiaires directs aux techniciens locaux, en passant par des acteurs de la société civile et d’anciens membres de gouvernements provinciaux.
Ce sont surtout les descentes sur terrain qui ont permis de mettre à nu les multiples failles du programme. Dans plusieurs zones, les travaux sont à l’arrêt, les ouvrages non livrés ou les matériaux de construction détériorés faute d’un suivi adéquat. Dans le territoire de Songololo, la voie d’accès en terre menant au centre de santé de Muala Kinsende est totalement dégradée. À Bulungu, les enquêteurs ont dû traverser la rivière Kwilu à la rame pour atteindre des chantiers dont l’état d’avancement reste très en deçà des attentes. Dans le Kasaï, l’enclavement et les fortes pluies ont rendu la mission presque impossible, obligeant le recours à des relais communautaires pour achever la collecte des données.
Les écarts entre les fonds débloqués et les réalisations observées ont suscité de nombreuses interrogations. Le lien entre les montants investis et la qualité des infrastructures reste flou. Certains chantiers visiblement abandonnés sur place contrastent avec les chiffres officiellement communiqués par les agences d’exécution comme le PNUD ou le CFEF. À ce jour, seule la CFEF a répondu à la demande de droit de réponse formulée par le CREFDL. Le PNUD, malgré plusieurs relances, est resté muet.
Autre constat alarmant : le manque de participation des communautés locales dans la définition des priorités. Une grande majorité des personnes interrogées ont déclaré ne pas avoir été consultées sur les projets réalisés dans leurs territoires. Le programme, pourtant censé être un levier de développement à la base, semble avoir été conçu et piloté depuis Kinshasa, sans véritable ancrage local. Ce déséquilibre entre la centralisation des décisions et les besoins du terrain apparaît comme l’un des facteurs majeurs des blocages observés.
Dans certaines zones, l’enquête n’a même pas pu être conduite en raison de l’insécurité. À Popokabaka, la présence de la milice "Mobondo" a rendu toute visite impossible. À Kenge, l’antenne provinciale de la CFEF a même déconseillé tout déplacement, forçant les enquêteurs à passer par des relais locaux.
À travers cette enquête, le CREFDL ne se contente pas de dénoncer les défaillances, il alerte sur le risque de voir le PDL145T se transformer en un vaste chantier inachevé. Un programme qui, s’il n’est pas réajusté rapidement, risque de devenir un fardeau politique pour le président Tshisekedi, au lieu d’un héritage. L’appel lancé à un audit indépendant, à une transparence accrue et à une gouvernance plus inclusive résonne comme une mise en garde : les promesses de développement ne peuvent se réaliser sans une écoute réelle des territoires et une gestion rigoureuse des ressources.
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