Mariama Diop : « Le cirque est peu connu, par manque de visibilité »


Le Cirque est un art peu connu au Sénégal, par manque de visibilité. Malgré tout, Modou Fata Touré est à la base de cette compagnie née en 2006 ; travaillant dans des difficultés, un appel est lancé aux autorités pour secourir Senrick. Dans cet entretien avec ELECTION-NET.COM, Mariama Diop, chargée d’Administration et de production dit tout sans ambages. Entretien…

Parlez-nous un peu de sencirk ?


SenCirk est la première et unique structure de cirque existante au Sénégal : la première compagnie et la première école de cirque.

La compagnie est née en 2006 et s’appelait au départ le cirque de Modou pour faire référence à Modou Fata Touré qui est à la base de tout cela. Elle rassemble aujourd’hui une dizaine d’artistes circassiens et formateurs venus d'horizons différents (breakdance, gymnastique acrobatique, danse traditionnelle…) qui fusionnent leurs spécialités et leur culture traditionnelle sénégalaise avec celle du nouveau cirque, venue d'ailleurs. L'esprit de SenCirk puise sa force dans l'originalité de sa pratique des arts du cirque, décomplexée et empreinte d'une liberté sans égale. Leur performance physique se mute en un acte artistique, où la mise en danger des corps, brute, sans filet, met en scène une forme de beauté presque spirituelle.

L’école, créée en 2010, accueille une vingtaine de jeunes (18-25 ans) et les prépare à des carrières professionnelles dans leurs disciplines. L’essence même de son existence réside dans les valeurs et bienfaits du cirque qu’elle souhaite véhiculer et utiliser comme outils d’insertion sociale et professionnelle. Suivant cet objectif, l’association a ainsi accueilli de nombreux jeunes afin de leur apprendre les métiers du cirque mais également leur donner toutes les chances de s’épanouir, grandir, se responsabiliser et ainsi prétendre à un avenir meilleur.


Les circassiens qui composent SENCIRK sont ainsi des personnes dévouées et motivées à être acteur de leur changement et de celui des autres, avec une force et un courage indéniable.

Election-net.com : Peut-on considérer le cirque comme un art ou une thérapie ?


Le cirque est à la fois un art, une thérapie et un sport. Dans ses formes, ses esthétiques et son adresse, c'est un art de la mixité. Le travail complet, à la fois corporel, mental et artistique que le cirque demande, ainsi que sa variété selon les disciplines, en font un espace particulier de reconstruction, d'approfondissement, et de perfectionnement de soi.


C’est un art parce qu’il y a toute une mise en scène dans la création. La beauté et l’harmonie sont recherchées. Quand on parle de cirque contemporain, le spectacle raconte une histoire. Nous ne sommes plus dans des numéros qui s’enchainent. Le spectacle « Man Fan Laa » de SENCIRK, actuellement en tournée en France par exemple, raconte l’histoire de six jeunes qui s’interrogent sur leur avenir. Il parle d'espoir vers un avenir meilleur, où comment la jeunesse sénégalaise se projette vers un futur plus juste malgré les dures réalités du quotidien. Il évoque la souffrance de se séparer des siens, le déracinement de quitter sa terre natale, mais aussi le courage et la fierté de se sentir libre.


Le cirque est une activité ludique très divertissante qui regorge de bienfaits. Il s’agit d’une activité sportive alliant entre autres agilité, concentration, équilibre, souplesse, pour une meilleure perception et appropriation de son corps.


Nos cours de cirque sont aujourd’hui ouverts à des personnes en situation de handicap mentale et/ou physique.


Cet art participe également à l’imaginaire et la créativité des petits comme des grands. Les différentes activités permettent de travailler sur la confiance en soi, mais également apprendre à faire confiance aux autres. Pratiquer le cirque, c’est également dépasser ses peurs, se surpasser, et ne pas avoir peur de tomber ! Quand un spectacle de clown est présenté à des enfants malades ou en danger, on les voit rire à l’éclat, chanter. Ils se libèrent et retrouve leur âme d’enfant le temps du spectacle. Le rire apporté par le clown est dit « libérateur » dans la mesure où il permet de lâcher prise.
Que faites-vous dans l'apprentissage des métiers du cirque ou du moins les mineurs qui sont en danger.

SENCIRK est bien plus qu’une compagnie de cirque, c’est une association à but non lucratif qui vient en aide aux enfants et jeunes vivant dans des situations précaires. Le cirque est utilisé comme un outil de développement personnel et physique qui favorise l’estime de soi, la confiance, l’acquisition de compétences sociales, l’expression, la créativité, afin de favoriser l’insertion sociale.


Nous intervenons depuis 15 ans auprès des mineurs en situation de grande vulnérabilité (enfants et jeunes en situation de rue, en détention et/ou victimes de violences) en partenariat avec différents centres d’accueil de Dakar mais aussi des associations communautaires avec qui nous partageons les mêmes valeurs. Chaque année, plus de 200 enfants et près de 2000 personnes en situation de grande vulnérabilité pensionnaires ou non des centres d’accueil de Dakar sont bénéficiaires de nos stages et ateliers de cirque.


Dans le souci de renforcer notre intervention auprès de notre public, nous avons lancé en 2020 le projet Woolu-Yaakar (Appel à l’espoir) basé sur les approches artistiques et culturelles pour le soutien psychosocial en partenariat avec une association artistique et humanitaire du nom de Clowns Sans Frontière avec l’appui de l’Institut Français et de l’Agence Française de développement à travers le programme accès culture. A travers ce projet tri annuel, nous ambitionnons d’étendre nos activités à d’autres régions du Sénégal telles que : Saint-Louis, Louga, Kaolack, Thiès, Ziguinchor et Kolda. Le nombre de bénéficiaires visé est de 10.000 jeunes vulnérables sur trois ans. Au-delà de ces interventions, nous souhaitons contribuer au développement culturel du territoire à travers le renforcement de compétences et les échanges de pratiques à l’intention des acteurs de la protection de l’enfance pour qu’ils aient davantage recours à la médiation culturelle, à l’éducation artistique et aux activités favorisant la participation et l’expression des enfants.

Quelle est la place du cirque en Afrique ?

En Afrique, le spectacle vivant contemporain n’est pas encore bien (re)connu, et si la pratique amatrice tend à se développer, la professionnalisation reste difficile. Le cirque est plus utilisé comme outil d’insertion socio-professionnel dans les centres d’accueil, les jeunes découvrent le cirque qui, plus tard devient un métier. La pratique amatrice s’est développée pour aboutir à la création de structures de cirque. Le besoin en formation se heurte au manque de moyen financier et à une mobilité artistique réduite. Malgré quelques projets épars, il existe peu d’artistes qui arrivent à vivre de leur art, peu de structures et peu d’évènements


Par ailleurs, Le nombre restreint de résidences organisées en Afrique ne favorise pas la professionnalisation dans les différents métiers du spectacle vivant. A cela s’ajoute une rareté des évènements culturels dédiés au cirque en Afrique qui ne permet pas aux artistes de se produire dans la région. Le manque de visibilité des compagnies faites que les arts du cirque sont encore méconnus par une grande majorité de la population. Cette méconnaissance des arts du cirque fait que les lieux de diffusion ne proposent pas de spectacle de cirque et la qualité de la programmation reste à désirer.

Il est important de créer les conditions de rencontre et d’échange entre les acteurs de différentes régions dans une perspective d’enrichissement mutuel tout en veillant à la préservation de la diversité culturelle. Plusieurs initiatives allant dans le sens de la valorisation des arts du cirque en Afrique sont à saluer. Nous avons les RICA (Rencontres Interculturelles du Cirque Africain) et le MASA (Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan) en Côte d’Ivoire, l’African Circus Art Festival en Ethiopie ou encore le festival de Bobo Dioulasso au Burkina-Faso et dès l’année prochaine le festival SENCIRK à Dakar.

Est-ce un ascenseur social pour les artistes ?

Sencirk est un projet mené avec force et conviction depuis plus de 10 ans par ses jeunes membres, aujourd’hui tous âgés de moins de 35 ans et majoritairement issus de milieux défavorisés. Sencirk les a fait grandir, s'épanouir et leur a redonné confiance en eux. Ils gagnent dignement leur vie grâce au cirque à travers les cours, ateliers, spectacles et animations qu’ils donnent un peu partout. L’association propulse leur carrière en leur proposant de nouvelles formations et des échanges artistiques internationaux, tant d’expériences enrichissantes qui font aujourd’hui d’eux des artistes accomplis. De nombreuses résidences et tournées à l’étranger ont fini par construire une véritable notoriété à la compagnie et à ses artistes dans le monde du cirque.

Quelles sont vos difficultés ?

La reconnaissance du statut d’artistes circassiens est la première difficulté à laquelle nous faisons face. La simple obtention d’une carte d’artiste est problématique.
Le cirque est un art encore peu connu au Sénégal car nous manquons de visibilité. Cette méconnaissance des arts circassiens fait que les programmateurs ne proposent pas de spectacles de cirque. Hors mis le grand théâtre qui est un partenaire depuis maintenant quelques années, l’accès aux lieux de diffusion reste difficile. Il en est de même pour les média.
Le challenge aujourd’hui est de se faire connaitre et cela passe par une multiplication de l’offre culturelle. La diversification de l’offre demande beaucoup de moyens : des moyens financiers mais aussi logistiques et techniques. Nous avons besoins du soutien de nos institutions et de nos autorités. Nous sommes implantés à la piscine olympique nationale mais avoir des infrastructures propres à SENCIRK serait un véritable essor à notre développement.


Par ailleurs, pour continuer d’évoluer dans leur carrière, les artistes ont besoins de se former. Nos besoins en formations se heurtent à un manque de moyen financier. Les formations accessibles sont de durée limitées et nécessite souvent de se rendre à l’étranger ou de faire venir des formateurs.


Réalisé par Mapote Gaye


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