"Gagner du temps" : comment Biden veut empêcher Trump de détricoter son bilan climatique

Joe Biden. Ph de tiers


Tout au long de sa course à la Maison Blanche, Donald Trump a promis de détricoter les politiques climatiques de son prédécesseur : sortir de nouveau des Accords de Paris, déréglementer l'industrie du gaz et du pétrole mais aussi revenir sur le grand plan pour la transition énergétique adopté par Joe Biden. Ces dernières semaines, le candidat défait multiplie cependant les mesures pour protéger son bilan environnemental. 

"Drill, baby, drill" - "Fore, chéri, fore". Avec un tel slogan, Donald Trump a donné le ton tout au long de sa course à la Maison Blanche : pendant son second mandat, il veut "forer à tout-va" de nouveaux puits de pétrole et de gaz et encourager la production de ces énergies fossiles, les premières responsables du dérèglement climatique.

Dire que l'élection de Donald Trump - climatosceptique de longue date, qui a qualifié à plusieurs reprises le dérèglement climatique de "canular" - n'augure rien de bon pour l'environnement est un doux euphémisme. Et s'il n'a jamais dressé de programme clair de ses ambitions dans le domaine, ses différentes déclarations ces derniers mois laissent peu de place au doute. Pour commencer, il s'agira, comme pour son premier mandat en 2017, de détricoter progressivement les différentes mesures pour le climat prises par son prédécesseur.

Alors, entre l'annonce des résultats de la présidentielle, le 6 novembre, et l'investiture de Donald Trump, prévue le 20 janvier, Joe Biden s'est lancé dans une course contre la montre effrénée, avec un objectif : multiplier les mesures de dernière minute pour protéger au maximum son bilan environnemental.

Une ribambelle de dernières mesures

Dès le 8 novembre, l'administration Biden finalisait ainsi son projet de restreindre les forages pétroliers et l'exploitation minière sur plusieurs dizaines de millions d'hectares en Alaska, pour notamment sauver un oiseau en péril, le tétras des armoises. En parallèle, relate le Washington Post, ses équipes se sont affairées à terminer une étude mettant en avant les bénéfices du moratoire hautement décrié pris par Joe Biden en janvier 2024 sur les exportations de gaz naturel liquéfié.

Quelques jours plus tard, l'Agence de protection de l'environnement (EPA) achevait, de son côté, une vaste réglementation visant à lutter contre les fuites de méthane - puissant gaz à effet de serre.

Puis, le 17 novembre, Joe Biden annonçait depuis Manaus, à l’orée de la forêt amazonienne brésilienne, le doublement, à 100 millions de dollars, de la contribution américaine au Fonds Amazonie, un bugdet international pour la protection de cette forêt.

Dernière annonce en date, le 6 janvier, lorsque le président sortant a déclaré interdire tout nouveau forage sur une zone maritime couvrant au total plus de 2,5 millions de kilomètres carrés. "Le moment est venu de protéger ces côtes pour nos enfants et petits-enfants", a-t-il justifié dans un communiqué. "Il est clair pour moi que le potentiel relativement mineur en termes d’énergies fossiles des zones protégées ne justifie pas les risques pour l’environnement, pour la santé publique et pour l’économie que poseraient de nouvelles concessions et de nouveaux forages", a-t-il ajouté.

"Rendre les choses aussi difficiles que possible à défaire"

"Avec le Sénat et la Chambre des représentants sous contrôle républicain, l'administration Trump aura certainement une marge de manœuvre assez importante lors de cette nouvelle mandature", explique Gautam Jain, chercheur en financement de la transition énergétique au Centre de la politique énergétique mondiale de l'Université de Columbia. "En prenant ces dernières mesures, Joe Biden essaie de gagner du temps et de rendre les choses aussi difficiles que possible à défaire pour Donald Trump."

Sans compter qu'avec ces quasi pleins pouvoirs, Donald Trump aura aussi la mainmise sur les agences fédérales, dont plusieurs institutions clés pour l’environnement comme l’Agence de protection de l’environnement (EPA), l’Administration nationale océanique et atmosphérique (NOAA) ou encore le Bureau de gestion du territoire (BLM), qui gère les terres publiques.

"Tous ont retenu la leçon de 2017", ajoute Gautam Jain. "À son arrivée après Obama, Trump avait rapidement démantelé une centaine de mesures environnementales de prises par son prédécesseur démocrate. Cette fois-ci, il s'agit de préparer le terrain pour, au minimum, ralentir le processus."

Parmi les dernières mesures de l'administration Biden, certaines, comme celle concernant les fuites de méthane, risquent ainsi d'être facilement déboutées. Prises par l'intermédiaire de l'EPA, elles pourraient tomber sous le coup du Congressionnal Review Act - une loi permettant au Congrès d'annuler n'importe quelle réglementation prise par une agence fédérale dans les 60 derniers jours de la mandature avec un vote simple à la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.   

Pour l'interdiction des forages offshore, en revanche, il pourrait être plus difficile de revenir sur la décision. Pour l'adopter, Joe Biden s'est appuyé sur une loi de 1953 donnant autorité au gouvernement fédéral sur l’exploitation des ressources du sous-sol marin au large des côtes. "Pour l'annuler, il faudra une loi du Congrès", résume Gautam Jain - un processus bien plus long, et fastidieux.  

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  • Avec cette myriade de mesures, Joe Biden a ainsi joué sur plusieurs plans, estime le spécialiste, obligeant la future administration Trump à multiplier les procédures légales et administratives. De quoi gagner du temps, voire décourager le nouveau président. 

    "C'est regrettable, mais c'était prévisible que le gouvernement tente de dresser autant d'obstacles que possible face à ce que le président Trump s'est engagé à faire", a réagi de son côté auprès du Washington Post, Tom Pyle, président de l'American Energy Alliance et ancien ministre de la Transition énergétique de Trump. "Mais je pense qu'il ne s'agira que d'obstacles mineurs sur la route qui mène à la réalisation de ses objectifs", a-t-il assuré, confiant.  

    Un déclin des énergies renouvelables ? Pas si sûr 

    Au-delà de ces nombreuses annonces de dernières minutes, jusqu'où Trump pourra-t-il renier l'héritage écologique de son prédécesseur ? Le milliardaire américain s’est par exemple engagé à détricoter l'une des mesures phares du mandat de Joe Biden, l'Inflation Reduction Act – un vaste paquet climat visant à financer, notamment, le déploiement des énergies renouvelables.  

    "Donald Trump aurait besoin d'une majorité dans les deux chambres pour l'abroger. En théorie, cela devrait donc être possible, puisqu'il a sa majorité", note Gautam Jain. "Mais en réalité, cela pourrait s'avérer bien plus compliqué car, aujourd'hui, 80 % des investissements liés au développement des énergies renouvelables, et donc à cette Inflation Reduction Act, profitent… aux États républicains."

    Avec le développement des énergies vertes et des usines de batteries, ces derniers ont ainsi vu la création de nombreux revenus et emplois. Revenir dessus reviendrait donc, pour Donald Trump, à marquer contre son camp. "Certains républicains ont ainsi d'ores et déjà appelé à ne pas revenir sur cette mesure et Trump pourrait se retrouver face à une opposition bipartisane", note le spécialiste.  

    En revanche, poursuit-il, même si la loi n'était pas abrogée, elle pourrait tout de même être modifiée, entraînant par exemple la suppression des obligations concernant les émissions des véhicules et l'achat de voitures électriques. 

    Une explosion des projets fossiles ?  

    "Même sur son ambition d'encourager la production de pétrole et de gaz, Donald Trump pourrait vite être rattrapé par la réalité économique", poursuit Gautam Jain. Lors de son premier mandat, Trump avait pour cela déclassé d'immenses surfaces jusque-là protégées en Utah, assoupli des dizaines de réglementations environnementales ou accordé plusieurs licences pétrolières et gazières en Alaska.  

    S'il est presque certain qu’il prendra de nouveau des mesures similaires pour stimuler l’industrie fossile, "cette obsession du nouveau président est dépassée et ignore les tendances du marché mondial d'aujourd'hui." 

    "Aujourd'hui, l'état du marché suggère une baisse du prix du pétrole et cela est lié à l'incertitude de la demande dans les années à venir avec la mise en place de sources d'énergies plus propres. Ce risque d'une baisse de la rentabilité n'incite pas les entreprises à investir davantage dans les énergies fossiles. Alors qu'à l'inverse, les sources d'énergies renouvelables deviennent, elles, de plus en plus compétitives", détaille-t-il, rappelant par ailleurs que les États-Unis produisent déjà plus de pétrole brut que n’importe quel autre pays.  

    "Même si Trump pousse vers les fossiles, il y a donc fort à parier que les investissements dans les énergies renouvelables continueront d’augmenter en raison de la dynamique du marché, en particulier avec les projets éoliens terrestres et solaires à grande échelle, qui sont devenus beaucoup plus rentables que le charbon ou le gaz." 

    Sortir de l'Accord de Paris 

    Reste que l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait aussi avoir des conséquences sur l'action climatique mondiale. Le futur président a en effet clairement assumé sa volonté de se retirer à nouveau de l’Accord de Paris sur le climat, comme il l’avait fait à sa première arrivée au pouvoir en 2017. 

    Mais cette fois-ci, il pourrait aller plus loin et essayer de provoquer aussi le retrait des États-Unis de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce traité de 1992 est le fondement des négociations internationales sur le climat. Or, une fois les États-Unis sortis, faire machine arrière pour une future administration présidentielle américaine serait très complexe : cela nécessiterait le consentement des deux tiers du Sénat. Le message envoyé sera alors clair : l'action mondiale contre le dérèglement climatique devra se faire sans la première puissance économique mondiale. 

    Mais là encore, Biden a, du moins symboliquement, préparé le terrain. Le 19 décembre, ce dernier a présenté une feuille de route climatique ambitieuse pour les États-Unis avec un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 61 % à 66 % d'ici 2035, comparé à 2005. "C'est totalement symbolique, mais cela donnera à ceux qui veulent se mobiliser, aux États-Unis comme à l'étranger, un objectif autour duquel se rallier", note Rachel Cleetus, directrice politique du programme sur le climat et l'énergie pour l'Association des scientifiques préoccupés.  

    Coalition pour le climat  

    Car Joe Biden peut aussi compter sur une partie de la société civile et sur certains États pour que sa politique climatique ne tombe pas aux oubliettes. En 2017, "America is All In", une coalition de gouverneurs et de maires, associés à des entreprises et des ONG, s'était créée après le retrait de l'Accord de Paris en 2017 pour marquer leur engagement sur le climat, et est "déjà sur le pied de guerre", selon Rachel Cleetus.  

    "Nous sommes dans un moment très triste pour les États-Unis. L'agenda environnemental de Trump est destructeur et va assurément ralentir l'action climatique au moment où celle-ci devrait déjà avoir accéléré", déplore-t-elle. "Mais Trump peut nier le changement climatique autant qu'il le veut, la réalité se rappellera à lui, comme le montre les feux qui sévissent actuellement à Los Angeles. En attendant, nous continuerons à nous mobiliser." 

    Avec France 24 

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