Les violences éducatives ordinaires ont des conséquences néfastes sur le développement de l’enfant et sur sa construction en tant qu’adulte. Pourtant, elles sont encore très répandues dans les familles, et sont même en hausse cette année. Comment y remédier ? Réponses avec Marine Manard, neuropsychologue.
Si la France est devenue en 2019 le 56e État à bannir la violence physique, verbale ou psychologique sur les enfants, les parents sont encore nombreux à y recourir. Selon une enquête Ifop pour la Fondation pour l'Enfance publiée jeudi 6 juin 2024, 81 % des parents ont commis au moins une violence éducative ordinaire (VEO) dans la semaine précédant l'étude. Ce type de violences peut se manifester par le fait de crier très fort sur son enfant, le mettre au coin ou le punir dans sa chambre, le priver de dessert ou de doudou, lui donner une fessée ou encore employer la menace verbale : « Tu vas finir par comprendre pourquoi tu pleures ! »
DES VIOLENCES « INTENTIONNELLES »
Selon la définition de l’Observatoire des violences éducatives ordinaires, celles-ci désignent « l’ensemble des pratiques coercitives, punitives ou manipulatrices tolérées, voire recommandées dans une société pour éduquer et contrôler les enfants ». Ces violences sont donc généralement exercées de manière intentionnelle, dans une démarche éducative, pour se faire obéir. Les VEO prennent alors différentes formes : bousculer son enfant en le tirant par le bras, l’humilier en le traitant d’« imbécile », le cataloguer en lui disant qu’il est « mauvais perdant », minimiser son émotion en lui disant « Arrête ton caprice ! », par exemple. Et si l’intention ne semble pas éducative au premier abord, elle l’est parfois de manière sous-jacente. « Si le parent lève les yeux au ciel à chaque fois que son fils ou sa fille essaie de lui parler, ou lui dit “Tu ne veux pas me ficher la paix cinq minutes ?!”, le message éducatif reçu par l’enfant, c’est que les plus faibles, les plus petits, n’ont qu’à se taire », explique Marine Manard, neuropsychologue belge et autrice du livre « Éduquer sans violence » (Éd. Dunod), paru le 13 mars 2024.
DES CONSÉQUENCES NÉFASTES SUR L’ENFANT ET L’ADULTE
Si les violences éducatives ordinaires sont encore très répandues, c’est qu’elles sont « banalisées au niveau de la société, voire carrément valorisées ou conseillées par les professionnels de santé, la famille ou encore les amis », souligne la docteure en psychologie. Or, les parents n’ont pas toujours conscience des conséquences néfastes que ces VEO peuvent avoir sur l’enfant, mises en avant par plusieurs études, avec l’effet inverse de ce qui était souhaité initialement : « Les enfants qui reçoivent une éducation par la peur, risquent de développer plus de difficultés comportementales, avec plus d’agressivité et d’impulsivité », indique Marine Manard. « Cela joue non seulement sur la relation parent-enfant, mais aussi sur le développement social, cognitif, émotionnel ou même physique de l’enfant », ajoute l’experte, avant d’évoquer des « troubles de l’estime de soi, psychologiques, du sommeil ». Sur la construction en tant qu’adulte, même si l’impact reste de l’ordre de la statistique, « on peut observer des troubles anxieux et dépressifs, des troubles de stress post-traumatique, le développement de phobies, de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), un manque d’empathie », en cas de violence éducative très sévère. Alors, comment y remédier ?
« L’ÉDUCATION COLLABORATIVE » COMME ALTERNATIVE
Pour éviter de recourir aux violences éducatives ordinaires, Marine Manard recommande aux parents de « changer de perspective », en essayant de trouver « le juste compromis entre ce qu’on est capable de donner en tant qu’adulte, et ce dont l’enfant a besoin ». Pour ce faire, elle recommande de regarder le monde à travers les yeux de l’enfant, pour comprendre ce qui est important pour lui. Par exemple, au lieu d’utiliser le chantage en lui disant « Si tu ne ranges pas ta chambre, tu n'iras pas à l’anniversaire de ton copain samedi », l’idée est de lui faire prendre conscience de l’enjeu, en se basant sur ce qui est dans son intérêt, pour qu’il conscientise la règle : « Si ta chambre n’est pas rangée, on ne pourra pas retrouver tel jouet. »
Autre clé, l’anticipation, pour « transformer chaque moment difficile en moment d’apprentissage pour tout le monde ». Cela peut se traduire par la mise en place d’un mot magique, que l’enfant ou le parent pourront utiliser dès que l’autre dépassera un peu les bornes, pour « le rappeler à l’ordre ». « Ça permet à l'enfant d'avoir une place pleine et entière dans le travail d'équipe », estime Marine Manard.
RÉGULER SES ÉMOTIONS DEVANT L’ENFANT
Par ailleurs, la neuropsychologue conseille d’y aller progressivement. Si l’experte plaide pour une « éducation collaborative », celle-ci ne pourra s’établir qu’en fonction des ressources que l’on a au moment T. Ainsi, cette démarche passera inévitablement par un « continuum entre les différents styles éducatifs – la parentalité laxiste, positive ou autoritaire », souligne-t-elle.
Évidemment, il n’est pas toujours évident d’appliquer tous ces conseils à la lettre. Les émotions telles que la colère, la tristesse ou encore la fatigue peuvent pousser les parents à agir de manière violente. « Si l’on sent qu’on est un peu tendu, parce que c’est clairement "challengeant" de rester calme en toutes circonstances, reconnaît Marine Manard, on peut montrer à l’enfant comment nous, en tant qu’adulte, on régule nos émotions. On peut le faire devant lui, en respirant, en reprenant ses esprits, peu importe la façon dont on se calme. C’est le meilleur moyen de leur apprendre à se réguler aussi », explique-t-elle. « Ensuite, si on a crié, rien ne nous empêche de revenir dessus : “Je suis désolée, j’étais très énervée, je n’aurais pas dû faire ça. Ce sont systématiquement des leçons de vie que l’on donne à l’enfant. »
Avec elle.fr
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